15 Avr 2022

stylo et calculette

Mesure d’instruction in futurum et secret des affaires

Dans une décision du 24 mars 2022, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler sa position sur la conciliation entre le droit à la preuve et la protection légitime du secret des affaires, dans ce qui constitue un contentieux récurrent en matière de concurrence déloyale, de dénigrement, et de parasitisme.

Le contexte :

Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction peut être ordonnée sur requête (et donc non contradictoirement) lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Ces mesures peuvent notamment comprendre des saisies informatiques, elles doivent, pour être ordonnées valablement, répondre à un certain nombre de conditions.

Le cadre juridique :

la Cour de cassation considère traditionnellement que la mesure d’instruction préventive doit être proportionnée aux droits de la partie adverse, cela au regard de l’objectif poursuivi : les juges du fond doivent ainsi notamment veiller à ce que la mesure soit nécessaire à l’exercice du droit de la preuve, et qu’elle ne constitue pas une mesure d’investigation générale.

Le cas d’espèce :

Dans l’affaire susvisée, se plaignant de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, une société a saisi le président d'un tribunal de commerce d’une requête introduite sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile à fin de voir ordonner des mesures d'instruction au siège social de plusieurs sociétés, et d’obtenir ainsi des pièces par des mesures de saisie informatique.

La requête a été accueillie par une ordonnance, qui a constitué l'huissier de justice séquestre des documents appréhendés et prévus qu'il ne pourra être mis fin au séquestre que par une décision de justice contradictoire l'autorisant à remettre les documents saisis.

La société saisie a sollicité auprès du juge la rétractation de l’ordonnance autorisant la saisie sur la base d’arguments classiquement invoqués en la matière : et notamment l’illégalité de la mesure d'instruction in futurum qui porte une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée, ou encore une atteinte disproportionnée au secret des affaires.

Le Tribunal, puis la Cour d’appel validaient le principe de la saisie en considérant cette dernière conforme aux prescriptions de l’article 145 du code de procédure civile, et de la jurisprudence qui lui est applicable.

Le pourvoi en cassation a tout d’abord permis à la Cour de cassation de rappeler sa jurisprudence applicable au domaine en précisant sous forme d’attendu que « Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c'est à la condition que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi ».

La Cour de cassation relève ensuite que si la Cour d’appel a procédé un certain nombre de vérifications, elle n’a pas recherché, comme elle y était invitée, à déterminer si les mesures d'instruction demandées étaient nécessaires à la détermination de la preuve des faits allégués et ne portaient pas une atteinte disproportionnée au secret des affaires de la société saisie au regard de l'objectif poursuivi.

Sa décision a ainsi été censurée pour défaut de base légale, puis renvoyée devant la Cour d’appel autrement composée.

En conclusion :

En matière de requête in futurum, la requête introductive d’instance et le projet d’Ordonnance rendue par le juge des requêtes sont préparés par le demandeur à la saisie, et conditionneront l’issue du procès lorsque ce dernier entrera en phase contradictoire.

Sur le plan pratique, les notions de « motifs légitimes », de « proportionnalité », ou encore de « nécessité » prêtent souvent à débat sur le plan judiciaire et font ainsi peser des risques sur les chances de confirmation d’une ordonnance de saisie au stade contradictoire.

Cela nécessite la plus grande précaution dans la rédaction de la requête introductive, et notamment le ciblage et la portée des mesures sollicitées, afin de veiller à leur proportionnalité.

Le raisonnement doit également conduire à se demander s’il n’est pas mieux, au regard des considérations de chaque espèce, de solliciter des mesures d’instruction in futurum par la voie contradictoire plutôt que par requête.