05 Jan 2018
Le débat :
L'action en responsabilité pour manquement à l'obligation d'information et de conseil est soumise au délai de prescription de 5 ans de droit commun. (Ce délai était de 10 ans antérieurement à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile).
Par deux arrêts rendus le 6 décembre 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l'occasion d'apporter des précisions concernant le point de départ du délai de prescription dans le cadre d'actions en responsabilité diligentées à l'encontre de cabinets d'expertise-comptable.
La question est la suivante :
En cas de recours introduit devant un tribunal pour contester une proposition rectificative de l'administration fiscale, la prescription commence-t-elle à courir à compter de la notification de l'avis de redressement ; de la notification de l'avis de mise en recouvrement ; ou à compter de la décision de justice rejetant le recours du contribuable ?
Cette question est de première importance car plusieurs années peuvent s'écouler entre ces dates, avec le risque pour le contribuable de voir son action en responsabilité, qui est enfermée dans le délai de 5 ans, prescrite.
La position de la Cour de cassation :
Dans le cadre d'une première espèce, le litige se présentait de la manière suivante :
Une SCI, à la suite de contrôles, a fait l'objet de deux propositions rectificatives de l'administration fiscale en date des 10 septembre 1991 et 29 août 1996.
La SCI a engagé des recours contentieux pour contester les dettes fiscales mises à sa charge et deux jugements d'un tribunal administratif avaient été rendus le 16 mai 2000.
Estimant que les redressements étaient la conséquence de fautes commises par le cabinet d'expertise comptable dans l'exercice de sa mission, la SCI l'a assigné, ainsi que son assureur, en réparation de leurs préjudices par actes des 7 et 8 janvier 2008.
Cette SCI agissait ainsi plus de 10 ans après les propositions rectificatives, et quasiment 8 ans après les jugements du Tribunal administratif.
En défense, le cabinet d'expertise comptable a opposé la prescription des actions, argument qui a été accepté par la Cour d'appel, au motif que le point de départ de la prescription décennale devait être fixé à la date des redressements ou à tout le moins à celles des réponses et précisions apportées par l'administration fiscale.
La Cour de cassation censurait toutefois cette position considérant " que la notification de redressement est le point de départ d'une procédure contradictoire, à l'issue de laquelle l'administration fiscale peut ne mettre en recouvrement aucune imposition, de sorte qu'à la date de cette notification, le dommage de la SCI (…) consistant dans des impositions supplémentaires mises à leur charge à raison des manquements supposés (du cabinet d'expertise-comptable), n'était pas réalisé ".
Il ressort de cette solution que le dommage se réalisant à l'issue de la procédure contentieuse validant le redressement opéré par l'administration, le point de départ du délai de prescription commence à compter de cette date.
Dans le cadre de la seconde espèce, le litige se présentait comme suit :
Une société a confié à un cabinet d'expertise-comptable l'établissement de ses déclarations fiscales.
A la suite d'un contrôle portant sur la TVA due au titre des années 2002 à 2005 l'administration fiscale a notifié une proposition de rectification, puis a émis, le 15 avril 2007, un avis de mise en recouvrement.
Le contribuable a contesté devant les juridictions administratives la créance fiscale, et son recours a été rejeté le 6 juin 2013.
Estimant que le redressement dont elle avait fait l'objet résultait du manquement du cabinet d'expertise comptable à ses obligations contractuelles, le contribuable l'a assignée en réparation le 26 juillet 2013.
Cette société agissait ainsi plus de 5 ans après la proposition rectificative, mais moins de 5 ans après la décision rendue par la juridiction administrative.
En défense, le cabinet d'expertise comptable opposait la prescription de son action, position rejetée par la Cour d'appel.
Au soutien de son pourvoi en cassation, le cabinet d'expertise comptable soutenait que la prescription d'une action en responsabilité court à compter du jour où la victime a eu conscience de son dommage, sans qu'il soit nécessaire que ce préjudice lui soit révélé dans toute son ampleur et sa certitude ; et qu'en affirmant que la prescription de l'action en responsabilité engagée à son encontre avait couru à compter du jour où le tribunal administratif avait rejeté sa requête sans rechercher si le dommage allégué ne s'était pas manifesté le jour où le contribuable avait reçu l'avis de mise en recouvrement rendant immédiatement exigible la TVA réclamée et lui faisant nécessairement prendre conscience du préjudice, la cour d'appel privait sa décision de base légale au regard de l'article L. 110-4 du code de commerce.
La Cour de cassation rejetait toutefois cette position considérant que " le délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter de la date de réalisation du dommage ou à la date où la victime est en mesure d'agir ".
Elle a estimé sur ce fondement qu'ayant relevé que le contribuable avait contesté la dette fiscale en introduisant un recours contentieux dont le sort n'avait été définitivement connu que le 6 juin 2013, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel rejetant ce recours, la cour d'appel justifiait légalement sa décision en considérant l'action non prescrite.
Cette solution semble pouvoir s'appliquer par analogie aux redressements mis en oeuvre par les URSSAF et à ceux de la DGCCRF lorsque des procédures contentieuses sont introduites en contestation desdits redressements.
Nasser MERABET
Avocat
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