14 Aoû 2017

stylo et calculette

De l’articulation entre droit à la preuve et secret des affaires

Présentation de la problématique :
 
Chaque justiciable, pour prétendre au succès de ses prétentions, doit être en mesure de rapporter la preuve des faits qu’il invoque.
 
Cette règle ressort des articles 6 et 9 du Code de procédure civile aux termes desquels :
 
  • « A l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder » ;
 
  • « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
 
Toutefois, il arrive fréquemment qu’une partie qui allègue un fait ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver faute des disposer de ces éléments.
 
Pour répondre à cette problématique, le Code de procédure civile organise dans son titre VI les règles relatives à l’administration judiciaire de la preuve.
 
Il ressort notamment des articles 143 et 144 du Code de procédure civile que les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible.
 
L’article 145 du Code de procédure civile permet de solliciter judiciairement le bénéfice de ces mesures avant tout procès sur le fond et s’il existe un motif légitime :
 
« S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
 
Les mesures d’instruction légalement admissibles sont les suivantes :

 
  • Les vérifications personnelles du juge,
  • La comparution personnelle des parties,
  • Les déclarations des tiers, parmi lesquels figure la possibilité pour le juge de diligenter une enquête,
  • Les expertises judiciaires.
L’articulation entre secret des affaires et droit à la preuve :
 
Le principe : le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions du Code de procédure civile relatives à l’administration judiciaire de la preuve :
 
La Cour de cassation considère de longue date que le secret des affaires ne s’oppose pas en lui-même au prononcé d’une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile dès lors qu’un motif légitime peut être caractérisé.
 
Dans un arrêt du 7 janvier 1999, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation considérait par exemple que :
 
« Mais attendu que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées»
 
Les limitations au principe : le contrôle de proportionnalité
 
Dans un arrêt du 22 juin 2017, la Cour de cassation a admis, pour la première fois, que la production d’éléments portant atteinte au secret des affaires doit être proportionné au but poursuivi.
 
Dans cette affaire, un agent général qui exerçait les fonctions d'agent général d'assurance non exclusif pour le compte de deux compagnies d’assurances démissionnait de ses mandats à l'égard de l’une d’elle.
 
Suspectant qu'il se livrait à une concurrence statutairement interdite, voire déloyale, la compagnie d’assurance évincée l’assignait sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile pour obtenir la communication de pièces permettant de retracer ses nouvelles activités d'agent général et de courtier en assurances.
 
Le juge des référés faisait droit à cette demande.
 
En cause d’appel, l’autre compagnie d’assurance intervenait volontairement et soutenait que cette communication forcée attentait au secret des affaires en permettant la divulgation d'informations confidentielles sur son portefeuille de clientèle et sa politique tarifaire.
 
Elle sollicitait alors, comme mesure de substitution, l’application d’une mesure d'expertise, confiée à un tiers soumis au secret professionnel, chargé d'analyser les portefeuilles de clientèle des deux agences concurrentes, de les comparer et de dresser la liste des clients communs.
 
La Cour d’appel rejetait cette demande de substitution au motif que ni le secret d'affaires ni la circonstance que la compagnie d’assurance soit propriétaire du « fichier clients » constitué par leur agent général ne suffisait à justifier, au regard de la manifestation de la vérité, qu'elle puisse s'opposer à la production en justice d'éléments de preuve que le demandeur ne pouvait obtenir par ses propres moyens et qui étaient nécessaires à l'appréciation de l'existence et, le cas échéant, de l'ampleur d'un détournement de clientèle permettant de qualifier une concurrence déloyale.
 
La Cour de cassation censurait toutefois cet arrêt au motif qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
 
Pour cela, la Cour de cassation considérait qu’il incombait à la Cour d’appel de rechercher si cette mesure d'instruction, confiée à un tiers soumis au secret professionnel, n'était pas proportionnée au droit d'établir la preuve d'actes de concurrence interdite ou déloyale attribués à l'agent général et à la préservation des secrets d'affaires de la compagnie d’assurance qui se prévalait de son bénéfice.
 
Cette problématique du contrôle de proportionnalité devra ainsi être dorénavant prise en compte par la partie qui introduit l’instance au titre des mesures dont elle sollicitera le bénéfice dans son assignation.

 
Nasser Merabet
Avocat
contact@selarlccbs.fr