05 Fév 2018

fond flouté

De la résiliation du pacte d’actionnaires à durée indéterminée

Présentation de la problématique :

Outre les dispositions prévues aux statuts, les associés peuvent décider de régulariser la signature d’un pacte d’actionnaires, plus confidentiel car non publié, et dont l’objet sera de matérialiser leur accord sur un certain nombre de questions en rapport avec la vie sociale et la gestion de l’entreprise : transmission des actions ou des parts sociales, gestion des comptes courants d’associés, clause de non-concurrence, organisation d’un processus de codécision etc.

D’un point de vue juridique, le pacte d’actionnaires constitue un contrat entre les différents associés, contrat auquel peut être également partie la société afin de lui rendre opposable les stipulations du pacte. Et, comme tout contrat, le pacte d’actionnaires peut être à durée déterminée (c’est-à-dire prévoir un terme certain : une date ou un événement comme le décès de l’associé ou la dissolution de la société) ou indéterminée.

La question est la suivante :

Comment caractériser l’existence d’un pacte d’actionnaires à durée déterminée ou indéterminée ?

Si la présence de certaines mentions telles qu’une date permet de clore le débat, la question est parfois plus complexe et peut être source de mauvaises surprises pour les actionnaires qui subissent la résiliation.

Cette question est de première importance car elle permet de déterminer si un associé est en mesure de se délier des obligations souscrites dans le pacte, comme, par exemple, celles relatives à une obligation de non-concurrence qu’il aurait souscrite.

Rappel du droit commun des contrats :

En application de droit commun des contrats, les parties à un contrat conclu pour une durée indéterminée peuvent y mettre fin à tout moment, sous réserve toutefois de respecter un délai de préavis.

Il s’agit de l’article 1211 du Code civil stipulant que « lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».

Lorsque l’engagement est à durée déterminée, les parties doivent l’exécuter jusqu’à son terme, à condition toutefois qu’il ne s’agisse pas d’un engagement à durée perpétuelle ou déraisonnable, auquel cas les parties retrouvent le droit de le rompre comme s’il s’agissait d’un contrat à durée indéterminée.

Ces règles sont également applicables au pacte d’actionnaires.

Illustration de la problématique :

Dans un arrêt du 20 décembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à connaître des faits suivants :

La société CFL, dont M. X. était actionnaire majoritaire et président, détenait 25 % du capital de la société de gestion de portefeuille dénommée LBO ainsi que des participations dans divers fonds gérés par celle-ci.

Les différentes parties avaient conclu un protocole relatif aux conditions de sortie de la société CFL et de M. X. du capital de la société LBO avec la présence d’un article stipulant que la société CFL bénéficierait de certains droits à condition que « la famille X » conserve directement ou indirectement le contrôle de la société CFL et que M. X. en soit personnellement actionnaire.

Estimant que l'accord était résiliable à tout moment, la société LBO y a mis fin.

Dans le prolongement de la rupture, la société CFL l'assignait en paiement de dommages-intérêts en invoquant le caractère fautif de celle-ci.

Au soutien de son pourvoi en cassation, la société CFL indiquait notamment que la mention d’une stipulation selon laquelle le pacte continuerait de s’appliquer dès lors que Monsieur X demeurerait associé devait être interprétée comme terme extinctif incertain, ce qui conférait alors au pacte une durée déterminée.

Cette position n’a toutefois pas convaincu la Cour de cassation qui a considéré que :

« Mais attendu qu'après avoir constaté que l'article 8 de la convention des parties ne mentionnait aucune limitation de durée et ne comportait aucun terme déterminé ni déterminable et que, notamment, il n'y était pas indiqué que l'engagement serait lié à la vie de M. X... et continuerait à produire ses effets jusqu'à son décès, l'arrêt retient que la perte de la qualité d'actionnaire de ce dernier ne constitue pas un terme extinctif, mais une condition de validité de l'engagement dans le temps ; qu'en l'état de ces motifs, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, la cour d'appel a exactement retenu que l'engagement pris par la société LBO était à durée indéterminée et que sa résiliation était dès lors valide ; que le moyen n'est pas fondé ».

Il ressort en effet de la jurisprudence qu'est pris pour une durée déterminée l'engagement dont le terme est fixé par un événement certain, même si la date de sa réalisation est inconnue, dès lors que cette réalisation est indépendante de la volonté de l'une des parties, ce qui est par exemple le cas d’un engagement consenti jusqu’à un décès.

Enseignements :

Il ressort de ces éléments que les parties au pacte d’actionnaires devront, lors de sa conclusion, être particulièrement attentives à la formulation des clauses relatives à la durée, cela sous peine de voir qualifier le contrat d’engagement à durée indéterminée librement résiliable par l'associé qui souhaiterait se délier d'une obligation encombrante souscrite dans le pacte.

 
Nasser MERABET
Avocat
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